Dans le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir affirmait : « On ne naît pas femme, on le devient« . Ce postulat, révolutionnaire à l’époque, est aujourd’hui communément admis. Pourtant, je dois avouer que depuis que je suis maman de deux garçons et d’une fille, j’ai pu constater que l’on ne pouvait pas être aussi affirmatif.
Certes la féminité est en grande partie la résultante d’un conditionnement social, culturel, psychologique… Mais tout de même, comment expliquer qu’une fille se dirige naturellement vers son petit frère pour le pouponner alors que le grand frère est nettement plus en retrait ? Comment expliquer qu’une fille est plus pipelette qu’un garçon ? Ils ont tous deux vécu dans le même environnement, reçu la même éducation. Il ne semble donc pas y avoir eu un conditionnement différencié qui puisse justifier ce constat.
Un garçon qui rêve d’avoir une dînette ou un poupon pour Noël, c’est souvent considéré comme anormal (et on sait à quelle point notre société affectionne la « normalité »). Idem pour une fille qui réclamerait une mallette à outils, un babyfoot et des faux flingues. Non, elle, il lui faut une poupée à coiffer et un poney avec une crinière rose.
Les concepteurs de jouets ont évidemment leur part de responsabilité car ils sont à fond dans les clichés sexistes. On a beau en parler et en reparler, les catalogues de jouets restent les mêmes, année après année : le bricolage, les sciences, le foot, les chevaliers, c’est pour les gars, et les poupées, les chevaux et les jeux d’imitation sont pour les filles. Et nous, parents, avons tendance à suivre le mouvement… Moi la première, d’ailleurs. Certes, Choupi a choisi pas mal de jouets qui tournent autour de la cuisine, mais Poupette n’échappera pas à une nouvelle poupée. Mais si j’ai pris cette poupée, c’est aussi parce que je me suis aperçue qu’elle adorait s’occuper de son petit frère et qu’elle est en demande. Alors, quid ? Est-ce moi qui l’influence à être « maternelle », ou elle qui a influencé mon achat ?
Lorsque je la vois croiser le fer (le sabre laser, en l’occurrence) avec son frère, je me dis que j’ai réussi à la préserver un peu des clichés. Et puis au fond, merde, je l’avoue sans honte, je ne suis pas féministe pour un sou. Est-ce si dégradant qu’une petite fille se comporte comme une petite maman, soit plus sensible et conciliante que son frère ? Le problème ne réside-t-il pas plutôt dans la vision que l’on a de la femme ?
On peut pousser le raisonnement sur les femmes adultes. Pendant longtemps, l’accomplissement de soi passait par la fondation d’une famille, l’éducation des enfants et la gestion de la vie domestique. Aujourd’hui, chaque femme choisit librement son chemin de vie. Il n’est plus honteux de ne pas être mariée avant 30 ans, la femme choisit d’avoir ses enfants au moment où elle le souhaite, elle a accès aux mêmes études que les hommes…
Aujourd’hui, on observe même le phénomène inverse : les filles qui essaient d’imiter les garçons. Cheveux courts, pantalons, clope au bec, tatouages, conduites à risque… Sur ce dernier point, on en a une preuve tangible avec la diminution de l’écart entre l’espérance de vie des hommes et des femmes, du fait justement de la hausse de l’alcoolisme, de la toxicomanie et du tabagisme chez les femmes.
Je viens de tomber sur un article fort intéressant dans Le Point de cette semaine (pages 70-72), intitulé : « Hommes, femmes : avons-nous le même cerveau ?« . Pour te résumer la chose, grâce aux récents progrès en neurobiologie, on a maintenant l’assurance que la nature contribue au moins autant que la culture à nous rendre garçon ou fille. Un anthropologue, Melford Spiro, qui a observé des enfants israéliens élevés dans une absolue égalité et ayant des parents sans conduite stéréotypée a pu constater que les garçons se dirigeaient naturellement vers les petites voitures quand les fillettes choisissaient les poupées.
Nos cerveaux diffèrent anatomiquement et fonctionnellement. Après reste à savoir si le cerveau est « sexué » dès le départ, comme certains neurobiologistes le soutiennent, ou s’il va être modelé par l’éducation et donc se développer différemment au fil des ans.
Le neurobiologiste français Jean-François Bouvet, dans son ouvrage Le camion et la poupée, a son point de vue sur la question :
– nous n’avons pas le même cerveau : « Le cortex s’épaissit dans les zones du langage chez les filles et dans les zones de reconnaissance spatio-temporelle chez les garçons » ;
– ces différences physiologiques s’accentuent en grandissant : la puberté sexualise le cerveau et développe les aptitudes selon les sexes : visualisation tridimensionnelle et opérations mentales pour les garçons, langage et émotion pour les filles. Et à partir de ce constat, on comprend mieux pourquoi, lorsqu’on est une ado au lycée, on dit des gars qu’ils sont immatures. C’est parce qu’ils sont trop concentrés sur leur calculatrice (au propre comme au figuré) alors que nous sommes en pleine introspection et en pleine réflexion sur le monde. Nous interprétons chaque geste, chaque mot de l’être aimé en secret, nous pouvons passer des heures à rêvasser sur un garçon qui ne nous regarde même pas (et si son regarde croise le notre, c’est l’embrasement des joues), nous aimons le simple fait d’être amoureuse et adorons décrypter les méandres émotionnels que nous traversons ;
– nos performances intellectuelles sont globalement équivalentes mais l’appréciation de notre intelligence diffère selon le sexe. Globalement -et ce sont les chercheurs qui le disent-, les hommes se surestiment tandis que nous autres les femmes, nous nous sous-estimons. On a moins confiance en nous, ce qui expliquerait en partie qu’une plus faible proportion de femmes que d’hommes fasse des études supérieures. Cette minorité féminine se retrouve en particulier dans les grandes écoles qui cultivent un climat de compétitivité ;
– notre intelligence diffère selon le sexe. On le sait, il y a plusieurs formes d’intelligences. Et bien nous, les femmes, avons en moyenne une meilleure mémoire que les hommes. On mémorise mieux l’emplacement des objets (si le Mâle déplace un truc sans le remettre à son emplacement d’origine, gare à lui), on perçoit plus rapidement les choses, on associe mieux les évènements, nous sommes plus méticuleuses, plus ordonnées… Les hommes, eux, reconnaissent mieux les figures géométriques complexes (ça sert à quelque chose ça, dans la vie ?), s’orientent mieux et lancent avec plus de facilité des projectiles sur des cibles (bon, hormis pour devenir policier ou faire Koh-Lanta…) ;
– enfin dernier point (après j’arrête car sinon tu vas avoir la migraine), bien qu’il y ait toutes ces différences biologiques, on peut les atténuer avec… un peu d’entraînement (et donc l’éducation retrouve un rôle prépondérant). Le Mâle peut exercer sa mémoire en apprenant par coeur le numéro de portable de sa femme et travailler sa dextérité en recousant lui-même ses boutons tout en papotant psychologie, et les femmes peuvent s’entraîner à calculer mentalement le montant de leur journée shopping et faire du tangram les yeux bandés. Ouf, tant mieux, un instant j’ai eu peur que ma gnomette ne puisse pas réaliser son rêve de devenir championne du lancer de Playmobil !
En conclusion, on naît femme mais on n’est femme jusqu’au bout des doigts qu’avec de l’entraînement !
Je le savais ! Pas possible que je sois aussi nulle pour me repérer sur une carte routiière sans qu'il y ait une raison biologique à cela 😉
On a une bonne excuse !
Merci beaucoup de ta contribution aux Vendredis Intellos!! Je suis bien contente de te relire par ici!!
Beaucoup de remarques concernant ton article… sur la question de la petite enfance tout d'abord. J'ai entendu il y a quelques temps les résultats d'un test assez surprenant: on montre à un groupe de personnes une vidéo d'un bébé. A la première moitié du groupe, on affirme que ce bébé est une fille. A la seconde, on affirme que ce bébé est un garçon. Et on leur demande de décrire ce que fait le bébé. Ce test montre que l'on décrira le bébé garçon comme étant "colérique, il sait ce qu'il veut, etc.." tandis que le bébé fille comme étant "chipie, charmeuse, etc..". Le but de cela étant de prouver tout ce que l'on est capable de projeter sur un enfant sur la simple base de son sexe (et non de son comportement puisque il s'agit bien du même bébé).
Sur la question des cerveaux "sexués", j'ai bien l'impression qu'il n'y a pas de consensus en la matière. Catherine Vidal (entre autres) se livre à la démonstration exactement inverse que celle que tu développes: http://www.youtube.com/watch?v=OgM4um9Vvb8
Je ne sais plus trop qui a dit que si notre cerveau n'était pas aussi complexe qu'il ne l'est nous n'aurions pas les moyens de tenter de le comprendre… 🙂
Bref, je pense que les stéréotypes de genre ne seraient pas aussi gênants s'ils n'aboutissaient pas en définitive à de nombreuses inégalités, de salaire, de carrière, de proximité avec les enfants, de tâches ménagères, etc…
Dernier point: tu veux que j'intègre ta contribution dès cette semaine dans les débriefs ou tu préfères que j'attende qu'elle soit sur le blog collectif?
De rien ! Très intéressant ton développement, mais du coup, on reste dans l'incertitude la plus totale ! Oui, oui, pas de souci pour le débrief, et je vais le publier sur le blog collectif ! Bises
Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec le sujet d'actualité du "mariage pour tous" et de la question des enfants qui grandiront au sein de couples de même sexe.
Ses détracteurs n'ont de cesse d'affirmer un prétendu impact négatif sur l'évolution des enfants dans ces familles pas "normales".
Or, de toute évidence, on est loin de pouvoir se targuer de certitudes sur le sujet.
w
Vaste sujet mon cher W ! On en reparle autour d'un verre un de ces jours ?
Le mâle dirait qu'il ne sait pas la différence est si marquée dans les jeux des enfants… jouer avec une poupée -plutôt féminine- est finalement très proche de jouer avec playmobils -plutôt masculins. Souvent le grand joue avec la poupée aussi, et la petite grogne avec les dinosaures et les robots à la main. Les enfants jouent avec tout ce qui leur passe sous la main ! La seule vraie différence très marquée entre les deux est le fait que l'aîné se désinteresse clairement du petit troisième, quand la fille en est très proche… mais c'est aussi peut-être à cause de la relation de domination qui s'installe inévitablement entre chaque enfant d'une fratrie.
Par contre c'est vrai que les filles n'aiment pas les maths… et là je ne comprends pas, les maths c'est juste tellement fun !!
Moi je dirais que jouer aux Playmo est aussi neutre. Bon ok, on n'a pas le palais de la princesse chez nous, mais globalement, les univers Playmobil ne sont pas super sexués ! Mais par contre on ne peut pas nier que notre grand adore la cuisine et ça, beaucoup plus que la Poupette ! Par contre les maths, ce n'est pas fun. C'est trop mécanique. Nous les filles, on aime se prendre la tête, on aime la philo, la psycho, tu comprends 😉